Le travail de bureau a depuis toujours été associé aux tâches administratives et à la production intellectuelle. Le traitement de plus en plus rapide de l’information ainsi qu'une quête de productivité toujours plus grande ont provoqué des mutations dans l’espace de travail à travers les siècles. Tels les moines en leur temps, les bureaux ont d’abord était isolés. Puis, nos lieux de travail sont devenus plus fonctionnels, plus productifs, mais aussi par la suite des lieux d’interaction et de socialisation où la dimension humaine s’est imposée progressivement. Le terme de communauté au travail est d’ailleurs plus ancien que l’on ne le pense.
Isolement et concentration
Nous avons choisi d’étudier l’évolution du travail de bureau en partant du Moyen Age, car c’est à cette époque qu’a émergé une forme de travail que nous connaissons encore tous aujourd’hui : le salariat. Les bureaux de l'époque, ou plutôt les scriptoria, sont alors utilisés dans les monastères, véritables lieux de production intellectuelle où les moines gardaient la trace des savoirs de l’Antiquité. S'asseoir étant encore considéré comme un privilège, les moines écrivaient debout dans la concentration et l’isolement le plus total, deux valeurs du travail bureaucratique qui prédomineront pendant plusieurs siècles.
Pendant la renaissance du XIIIème siècle, la production intellectuelle se déplace du monde religieux vers le monde des sciences et du commerce. Alors que faire du profit ne devient plus immoral, l’entreprenariat se développe et, les techniques gagnant en sophistication, l’économie recherche des travailleurs éduqués. Dans le même temps, des tables de travail sont utilisées par les commerçants pour la comptabilité, pour la rédaction des contrats avant d'être utilisées par les ingénieurs et les artistes. Sur ces tables, on calcule grâce à des maîtres à compter que l’on appelle Computer. Preuve que le bureau a toujours été un lieu de traitement et de production de l’information.
Du XVIIème au XVIIIème siècle, l’activité planifiée et l’organisation administrative augmentent fortement, mais cette fois du fait de la centralisation des états. L’un des exemples le plus révélateur est l’Alazzo Uffizi. Cet édifice construit à Florence par les Médicis, regroupait dans un même bâtiment l'administration, les archives de l’état ainsi qu’un tribunal.
A cette époque, classer et archiver l’information demeure toujours important pour le commerce, mais le bureau devient aussi utile pour les intellectuels et les artistes qui s’isolent à leur tour dans des bureaux indépendants. Force de discipline et de concentration, le travail acquiert une nouvelle valeur pendant l’époque des lumières. Celui de rendre le citoyen libre et productif, notamment grâce à l’apprentissage. Une idée qui perdurera longtemps avec les débuts de la scolarité obligatoire. N’est-ce pas d’ailleurs dans la salle de classe que nous apprenons à travailler pour la première fois sur un bureau ?
Société industrielle et bureaux rationalisés
La fin du XIXème siècle a vu apparaître les premiers bureaux commerciaux dans les villes industrielles des Etats-Unis. Grâce à l’invention du téléphone, du télégraphe et aussi grâce au chemin de fer, les activités administratives et de gestion de l’entreprise ont pu être délocalisées en dehors du lieu de production. Les employés de bureaux sont alors encore très minoritaires dans la population active et leur activité considérée non productive dans le processus industriel.
Les bureaux commerciaux, les compagnies d’assurance et les agences gouvernementales, qui constituent l'essentiel du travail bureaucratique, sont imprégnés des idées du Taylorisme jusque dans leur design. Ils conçoivent des espaces de travail aménagés selon un ordre strict, rationnel et fonctionnel, où les employés sont disposés en ligne.
La division du travail, alliée à la machine à écrire ainsi qu’à l’éclairage électrique, permet une activité intensive des désormais ouvriers de l’information. Seuls les supérieurs hiérarchiques peuvent alors prétendre à un bureau personnel. Les employés travaillent dans des grandes zones centrales et bruyantes, voire très mal éclairées pour ceux qui se trouvent au plus bas de la hiérarchie. Les fenêtres sont alors placées au-dessus des travailleurs pour favoriser un isolement et une concentration quasi monastique.
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